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NOTRE FRATERNITE
7 août 2013

NON A LA BOMBE OUI A LA PAIX

JEAN ROSTAND PARMI NOUS

 

ROSTAND, il m'accueillait deux fois par semaine en sa vieille demeure. Durant des heures devant un bassin où il observait et notait le comportement des grenouilles, nous rêvions d'un monde fraternel cherchant à se libérer de la haine, de la violence et de la corrruption. Alors que ses travaux biologistes étaient appréciés dans le monde entier, j'étais fasciné par sa simplicité et sa prodigieuse lucidité. Nous évoquions LES CAHIERS DE LA QUINZAINE qu'il me conseillait, lui aussi, de reprendre alors que je ne m'imaginais pas que la venue imprévue d'internet me permettrait de vous les présenter ainsi et il m'offrait ce texte inédit que j'ai la fierté de vous offrir à mon tour en cet été si difficile et si tumultueux de 2013.

Le passage d'un tel homme laisse une trace à la fois saignante et magique. Oui, car il inflige une bénéfique saignée à cette bonne conscience, à ces rêveries velléitaires et à ce lymphatisme passif si fréquents parmi les militants. Après lui et grâce à lui, on se retrouve rajeuni et renouvelé dans un sang énergique et riche. Mais Jean ROSTAND est aussi, malgré lui, le mage qui tatoue sur les coeurs le signe de la bonne aventure. Il s'agit d'un talisman profond qui nous consacre, qui nous rend plus assurés, plus persévérants, plus volontaires et plus audacieux dans la vaste croisade contre l'oppression, l'exploitation et la guerre.

Denis CLAIR

 

 

ECLUSIF

 

Un texte inédit de

 

JEAN ROSTAND

de L'Académie Française

 

 

NON A LA BOMBE

OUI A LA PAIX!

 

La légende elle-même ne pourrait faire ici office de présentatrice pour Jean ROSTAND.

Et cependant, ce dernier est depuis longtemps célèbre sur toutes les faces de la planète! Car ce grand pourfendeur de la « bombe » est autrement que légendaire. I1 ne fait pas figure d'un personnage de la mythologie moderne. Il est l'exemple en action et le symbole en marche. Patriarche spontané et disponible, il choisit a'edopter-te tribu hétéroclyte et sans frontières

des « colombes s. Ce prophète rationaliste qui n'a pour l'inspirer que sa terrifiante lucidité et son humanité vibrante, et pour référence que notre commune conscience, ne se réfugie ni dans sa

vocation ni dans ses études ou ses travaux de biologiste comme dans une sorte d'abri anti-atomique pour y attendre la huitième et dernière plaie d'Egypte de la désintégration générale. Il ne court pas les antichambres ministérielles, ni les inaugurations du chauvinisme tricolore, ni les réceptions officielles, ni les prix des vertus rassurantes. Il ne se gargarise pas de désapprobations smpoulées,

de conseils de prudence, d'admonestations aussi invertébrées que moralisantes dont sont prodigues tant de séniles célébrités de gauche et de droite, de l'est comme de l'ouest. Jean ROSTAND n'a rien à voir avec les non-violents du café-crème et les philanthropesen robe de chambre. En dépit de son âge, hier encore, il entrait dans les foules, présidait les manifestations, se plaçait en tête des défilés. /1 se compromet avec les non-conformistes et les contestataires depuis toujours, et savait grimper aux tribunes, porter la contradiction aux « vautours» et haranguer au nom d'une Paix qui fait violence aux stéréotypes et qui vilipende les demi-mesures.

JI prend les problèmes à bras le corps et açcuse publiquement les responsables: politicards et machiavels avec ou sans pouvoir, patriotes chauvins, matamores galonnés, stratèges cyniques et souriants techniciens de la « dissuasion », négoclants en « Mirages Ji et profiteurs de « frappe s.

AINSI vien;.iI parmi nous, sans diplômes, sans rosette au revers, sans drapeau ni tambour ni trompette ni « motards» ni « barbouzes )J. S'il a répondu à notre invitation, c'est que partout où il respire l'odeur de la fraternité, il se sent chez lui. Il n'a pas d'exclusives. /1 ne fait pas d'exceptions. Tous ceux- qui, comme nous, acceptent de porter sur eux le poids du passé, du présent et de l'avenir, lourds autant de prodiges heureux que de catastrophes, tous ceux pour qui honneur ne peut rimer qu'avec bonheur, sont ses compagnons. ROSTAND, par sa seule présence familière et généreuse, mais aussi par le son de sa voix et l'éclat de son regard est à la fois le tonnerre et l'arc-en-ciel, la foudre éblouissante dardée contre les faiseurs de pluie de tout lé Pentagone, et la promesse des jours ensoleillés pour ceux qui, avec lui et nous, se savent porteurs de clet bleu.

Le passage d'un tel homme laisse une trace à la fois saignante et magique. Oui, car il inflige une bénéfique saignée à cette bonne conscience, à ces rêveries velléitàires et à ce lymphatisme passif si fréquents parmi les militants. Après lui et grâce à lui, on se retrouve rajeuni et renouvelé dans un sang énergique et riche. Mais Jean ROSTAND est aussi, malgré lui, le mage qui tatoue sur les coeurs le signe de la bonne aventure. 1/ s'agit d'un talisman profond qui nous consacre, qui nous rend plus assurés, plus persévérants, plus volontaires et plus audacieux dans la vaste croisade contre l'oppression, l'exploitation et la guerre .

Voilà ce que j'aurais voulu dire de vive-voix au cher Jean que je rencontrais plusieurs fois par semaine en sa vielle maison de Ville d'Avray où, devant le bassin, il observait le dévelloppement des grenouilles. Il nous a quittés et reste pour moi plus qu'un ami : un exemple

C'est avec bonheur que je fais profiter ce blog, qui nait au millieu des tempêtes, de ce texte qu'il m'avait confié et resté inédit jusqu'à ce jour. Qui oserait dire qu'il ne reste pas d'une brûlante actualité?

 

Denis CLAIR

 

AVANT que d'évoquer les dangers que fait courir au monde l'extension de l'armement atomique, je voudrais prévenir un malentendu. A ceux qui, comme nous, s'attachent à dénoncer ces dangers, on objecte parfois que nos buts sont trop limités, car c'est - nous dit-on - tous les armements qu'il faut condamner, toutes les guerres qu'il faut refuser: en vous déclarant contre la « folie nucléaire », vous semblez admettre, implièitement, que la guerre conventionnelle d'hier, que la guerre chimique ou bactériologique de demain, ne sont pas, elles aussi, des folies et des crimes...

 

Je reconnais, jusqu'à un certain point, la justesse de cette objection, qui nous vient de certains pacifistes intégraux. Je sais bien que l'armement atomique n'est qu'une manifestation, un effet de cet exécrable esprit de guerre qu'il faut combattre sous toutes.ses formes; mais je pense, nous pensons que la menace de guerre atomique atteint à un tel gigantisme, à une telle démesure, nous pensons qu'il y a dans cette guerre une telle spécificité dans l'horreur - spécificité à la fois quantitative et qualitative - qu'elle mérite qu'on lui oppose un pacifisme privilégié, prioritaire; et nous croyons que ce pacifisme anti-atomique ne peut qu'aider au renforcement d'un pacifisme généralisé.

 

ANTI-ATOMISME bien ordonné commence par soi-même. Notre rôle à nous, pacifistes de France, est enpremier lieu de protester contre la force atomique française, - inutile, absurde, inemployable aussi bien contre un adversaire plus fort que contre un plus faible, éminemment dangereuse puisqu'elle nous désigne pour cible, criminelle et inhumaine puisque sa fonction est de frapper électivement les populations civiles; qui plus est, elle donne aux autres nations le mauvais exemple en suscitant la malsaine émulation des chauvinismes nucléaires.

 

On ose prétendre, on est même allé jusqu'à écrire que la bombe c'est le refus de la guerre mondiale, parce qu'elle contribuerait, par sa vertu de dissuasion, à consolider cet « équilibre de la terreur » sur lequel on s'endort comme sur un mol oreiller. Et, pour un peu, on proposerait Monsieur Dassault pour un Prix Nobel de la Paix... Mais cette illusion ne résiste pas à l'examen: des hommes comme le général Jousse - ce militaire aberrant qui, sur le pacifisme militant, en remontrerait à beaucoup de civils -, comme Pierre Sudreau - ancien ministre, ce qui n'est certes pas une référence, mais non plus une condamnation -, comme Alfred Fabre-Luce et d'autres encore, ont, par de vigoureuses analyses, montré, d'une part, que la France n'a rien à faire dans la galère atomique, et, d'autre part, que la terreur atomique, loin d'avoir la vertu pacifiantequ'on lui prête, ne peut avoir pour effet que d'exalter la tension psychologique entre les adversaires, d'où le risque permanent de provoquer chez l'un ou chez l'autre, des réactions de panique, passionnelles et incontrôlées.

 

Pour juger de l'état de confusion mentale qui règne chez les théoriciens de notre bombe, il n'est que de confronter les déclarations du général Ailleret (paix à ses cendres!) avec celles de Monsieur Sanguinetti qui fut Président de la Commission de la défense nationale et des forces armées à l'Assemblée nationale.

 

Dans la Revue de défense nationale, le premier s'exprimait en ces termes: « La France fait l'effort de se constituer, avec ses moyens propres, un système de défense ... qui... manié avec autant de sang-froid que de détermination, devrait, par la dissuasion, lui permettre d'échapper à certaines grandes guerres, et, si elle n'y échappe pas, d'y participer aux meilleures conditions ».

 

Cet « aux meilleures conditions » laisse rêveur quand on sait que si jamais l'on commettait chez nous l'abominable folie d'appuyer sur la gâchette atomique, quelques minutes plus tard, il n'y aurait plus de France, il n'y aurait plus de Français. Une dizaine de bombes lancées par l'ennemi, en représailles aux nôtres, suffiraient à anéantir le vulnérable hexagone.

 

Ce n'est pas nous qui disons cela, ce ne sont pas les mauvais esprits que nous sommes qui font courir ce bruit: c'est Monsieur Sanguinetti lui-même qui écrit:

 

« Quand j'entends parler de riposte, je ne peux que-vous répondre: bien «entendu, il y aura riposte, et nous savons bien que nous disparaîtrons de la carte «carte de la terre ».

 

Soit, je veux bien ... A mon âge, et après tout ce que nous avons vu, pourquoi pas? Mais il sied, quand même, que les Français, que tous les Français - et surtout les jeunes - aient connaissance d'une telle désinvolture dans le stoïcisme. Il faut qu'ils sachent avec quelle légèreté on accepte de jouer la vie d'un peuple entier à la roulette gaulliste.

 

Je dois vous dire maintenant quelques mots du danger biologique des explosions nucléaires en temps de paix, danger qui ne cessera de s'accentuer si on ne se hâte pas de mettre un terme à la dissémination des armes atomiques.

 

Toute explosion nucléaire, où qu'elle se produise, et quelque précaution que l'on prenne ou que l'on dise prendre, cause un domage au patrimoine héréditaire humain du fait qu'elle détermine un accroissement de la radio-activité ambiante et, par la suite, un accroissement du nombre des variations héréditaires ou mutations, qui sont toujours ou presque toujours des modifications nocives de l'équilibre génetique.

 

Si une mutation frappe une cellule germinale, elle pourra se traduire dans la descendance du sujet atteint, par l'apparition d'une tare, d'une infirmité, d'une anomalie, d'une monstruosité: si elle frappe une cellule du corps (cellule somatiure ), elle pourra entraîner la production d'une leucémie ou d'un cancer.

 

Et qu'on ne dise pas, surtout, que l'augmentation de la radio-activité est trop faible pour être nocive, qu'elle est négligeable, insignifiante, acceptable, admissible, non inacceptable ... Ces euphémismes sont irrecevables, dès lors qu'il n'existe pas de « seuil » pour les effets génétiques a

des rayonnements, ce qui veut dire qu'il n'est pas d'accroissement de radio-activité si minime qui n'ait de tacheuses conséquences pour la santé de l'espèce et des générations à venir.

 

A ce sujet, comment ne pas se rappeler, tout particulièrement, l'augmentation, dûment constatée, de certains isotopes radioactifs à longue vie (strontium, cassium) dans la farine, dans le lait, d'où ils passent, pour s'y accumuler, dans les'os et les dentures de tous les enfants du monde.

 

Le taux du strontium radio-actif est actuellement dix fois plus élevé dans la farine qu'il ne l'était avant le début des explosions nucléaires.

 

Le professeur Bugnard, dont je ne mets pas en doute la probité scientifique, estime que la cote d'alerte n'est pas atteinte; mais cela ne nous rassure qu'à moitié, car, soit dit en passant, j'admire l'assurance avec laquelle ces doctes spécialistes garantissent l'innocuité d'une telle intoxication permanente, qui s'ajoute à tant d'autres causes de détérioration cellulaire (radiations d'usage médical, médicaments chimiques, etc). Personne, je dis bien personne, n'est à même de prévoir ce qui va résulter, pour la santé de l'espèce, de l'addition de tant de facteurs nocifs.

Nous nous garderons d'essayer de chiffrer les dégâts provoqués par les bombes nucléaires, car trop d'inconnues subsistent dans les données du problème. Mais nous pouvons affirmer que, du fait de ces bombes, .des enfants tarés ou infirmes vont naître qui n'auraient pas dû naître, que des cas de leucémie et de cancer vont se produire qui n'auraient pas dû se produire. Nous pouvons certifier que chaque explosion de bombe ajoute au lamentable effectif des victimes de la « folie nucléaire ». Et comment n'être pas inquiets lorsqu'on apprend, par une déclaration de M. Mendès-France, que trente-deux pays sont maintenant candidats à la bombe, ce qui nous promet, outre un danger de guerre sinistrement aggravé, une sérieuse extension du méfait génétique dès le temps de paix.

 

A partir de combien d'infirmes, de combien de leucémiques et de cancéreux est-on fondé à se plaindre? Affaire de conscience, de sensibilité. Le seuil de l'acceptable variè suivant les individus. Pour celui-ci, mille enfants tarés, cela ne compte guère au regard du prestige national; pour celui-là un seul enfant taré qui n'aurait pas dû naître, c'en est un déjà de trop.

 

Il faut enfin ajouter - bien que cet objection d'ordre financier soit accessoire auprès des autres - que l'acquisition de notre force de frappe nous ruine, nous accable, nous exténue.

 

On nous affirme que l'armement atomique est moins onéreux, tout compte fait, que l'armement conventionnel, et que, de toutes les morts militaires, c'est la mort atomique qui est la moins chère. Mais combien de milliards atomiques ne figurent pas au budget des armées, imputés qu'ils sont à la recherche scientifique, aux frais de mission spéciaux, à la' défense opérationnelle, aux charges communes, aux territoires d'outremer ...

 

Et, devant ces dilapidations clandestines, comment ne pas évoquer avec aigreur, avec colère, les laboratoires, les écoles, les logements dont nous sommes frustrés. Comment ne pas songer à la misère de notre équipement hospitalier, à tous les malades qui ne sont pas soignés, aux infirmières qui manquent dans les services d'urgence, aux trois cent mille lits qui seraient à créer, aux mourants entassés dans les couloirs d'un bâtiment vétuste? Comment ne pas songer aux « reins artificiels », si ridiculement rares par rapport à la foule des urémiques qui en pourraient bénéficier, à tous les appareils onéreux, enfin, dont la pénurie met les médecins dans l'obligation de choisir selon la dramatique expression du Professeue Hamburger - ceux qu'on décidera de laisser mourir.

 

Je sais bien, on nous répond cauteleusement: « A supposer que vous ayez raison, il est maintenant trop tard pour changer de logistique. La force de frappe a atteint le point de «mon retour»: aucun gouvernement - fût-il de gauche, voire d'extrême gauche, fût-il formé des hommes que vous prônez et souhaitez de voir à la tête du pays - ne prendra sur lui de renoncer à l'armement atomique ».

 

« Notre politique nucléaire - a-t-on pu lire dans la Revue de Défense Nationale - est axiomatique, irrévocable ... Personne ne jettera à la ferraille nos bombes A; personne ne transformera les sous marins à propulsion nucléaire en sous-marins Diésel; personne ne fermera l'usine de Pierrelatte.

En fait - conclut M. Messmer - personne ne propose aucune de ces mesures ».

 

Pour parler ici très franchement, je dirai que je suis parfois un peu déçu par l'attitude de l'Opposition en face de la force atomique française. Il ne m'apparaît pas qu'elle la combatte avec la vigueur, l'obstination qui seraient do mise.

 

Lors des élections présidentielles, et aussi lors des législatives, la force de frappe n'a pas été au premier plan des débats. Je n'ai pas entendu sortir du petit écran les paroles véhémentes, explicites, accusatrices que j'attendais.

 

On avait là, cependant, durant quelques minutes - et pour une fois sur les ondes nationales confisquées par le pouvoir personnel, - on avait l'occasion de parler à peu près librement à des millions d'auditeurs: je n'estime pas qu'en ait profité comme il eût fallu de ce qu'on a appelé à la Chambre, « la clémence » de la Majorité ...

 

Oui, cette détestable force de frappe, on ne la condamne qu'avec mollesse, ménagement, courtoisie; cette sale bombe qui nous est imposée, on prend des gants avec elle ...

 

Et cette sorte de galanterie contraste avec la violence qu'on met à s'élever contre ce qui se passe au delà de nos frontières.

 

Qu'on m'entende bien. Je ne méconnais pas l'importance, voire la gravité de certains problèmes qui ne sont pas les nôtres. Et j'approuve - car il ya unité, indivisibilité de la justice, de la liberté, de la paix -, j'approuve que nombreux et ardents soient ceux qui, chez nous, manifestent contre les crimes lointains, mais je ne voudrais quand même pas que tout notre potentiel d'indignation, de contestation, de protestation, s'épuise au bénéfice de l'étranger. Gardons-en un peu pour nous mêmes. Gardons-en pour ce qui se passe ici, tout prêt, sous nos yeux. Gardons-en pour Taverny et pour Pierrelatte ... Gardons-en pour nos sous-marins aux noms ridicules de croque-mitaine: Le Formidable, le Terrifiant, le Foudroyant ...

 

Quoi qu'il en soit, enregistrons avec satisfaction que Monsieur Mendès-France déclarait publiquement que « la France devrait interrompre la constitution de sa . force de frappe, qui ne servira jamais ». Enregistrons que la Fédération de la Gauche et le Parti Communiste s,engageaient, par une déclaration commune, à renoncer à la force de frappe et à la reconvertir à des fins pacifiques ... (Mais depuis ... )

 

Jusqu'à nouvel ordre, nous voulons faire crédit à ces paroles de sagesse. Faudrait-il qu'on pensât, avec feu Monsieur Pompidou, que les promesses de l'opposition sont des « fumisteries sans norn » ? Faudrait-il qu'on fit une règle de la fourberie de nos gouvernants, et toujours s'attendre qu'à peine hissés au pouvoir ils agissent au rebours de ce qu'ils avaient promis?

Ah ! quel exemple, quelle leçon, il donnerait au monde, le pays qui, le premier, renoncerait à sa force atomique! En notre siècle de violence et de guerre froide, comme il se grandirait devant l'avenir, comme il s'imposerait devant l'histoire, l'hommo qui oserait un tel geste, aussi insolite, de civilisation et de paix! A côté de ces potentats qui ne savent que jouer du chantage à l'extermination, à côté de ces maréchaux qui annoncent avec gourmandise le nombre de cadavres qu'ils sont capables de faire en l'unité de temps, comme il paraîtrait grand - et d'une vraie grandeur, celui-là - l'homme qui se permettrait de déclarer: Mon pays s'est débarrassé de ses bombes, il s'est dépossédé de la sombre et terrible capacité de détruire en quelques instants des millions et des millions d'hommes ...

 

Il a envoyé à la ferraille les engins de meurtre, et d'une usine qui ne travaillait que pour la mort, il en a fait une qui ne travaillera plus que pour la vie...

 

ENTENDRONS-NOUS jamais un tel langage? N'est-ce pas trop beau pour être possible?

Il faudrait simplement, pour cela, qu'un homme d'Etat comprît - et comment ne le comprennent-ils pas, ces orgueilleux si assoiffés de gloire future - qu'on ne peut plus se grandir aujourd'hui par l'épouvante qu'on inspire, et que les seuls gesteshistoriques, désormais, ceux qui compteront dans la mémoire des peuples, ceux qui obtiendront une durable gratitude, ceux qui frapperont l'imagination et toucheront les coeurs, ce seront des gestesd'apaisement et d'humanité, éveilleurs d'espérance et ensemenceurs d'avenir.

 

E spectacle que donne présentement le monde n'est certes pas fait pour rassurer les véritables amis de la paix. Partout, flambent les nationalismes, les chauvinismes, les séparatismes, les racismes, les sectarismes, les fanatismes... Partout, règnent en maître l'esprit de rivalité et de domination, l'égoïsme sacré, le mépris des droits de l'homme ...

 

A-t-on jamais le sentiment que les grands responsablesde la planète, ceux qui tiennent entre leurs mains les vies de millions d'hommes, aient vraiment à coeur de rechercher l'entente internationale avec l'opiniâtreté, la probité, la ferveur nécessaires? A-t-on l'impression qu'ils soient disposés, en quelque camp que ce soit, à faire à la grande, à l'immense, à l'inégalable Causesde la Paix les censessions qu'elle exige, et le sacrifice, même partiel, de leurs préjugés, de leurs points d'honneur, de leurs fatuités chauvines, de leurs intolérances? Est-ce que, jamais, l'on voit s'esquisser,même à titre d'essai, un gestequi soit vraiment sansarrièrepensée, sanséquivoque, et animé par le seul vouloir de compréhension et de conciliation, un geste spirituellement désarmé, qui ne soit pas de tactique ou de propagande, externe ou interne, un geste qui ne vise pas à conquérir quelque avantage matériel ou moral, un gestegratuit, enfin, qui ne soit teinté d'aucun impérialisme ou national ou idéologique?

 

Et dans ce monde exclusivement régi par la « morale de guerre », comme disait le philosophe Renouvier, non seulement les bombes s'accumulent dans les arsenaux, mais la décision suprême, assassine,dépend de la volonté d'un seul homme,- d'un seul, qui peut être un agité, un persécuté, un mégalomane, un névrosé, puisque, jusqu'à nouvel ordre, on n'exige pas de ceux qui conduisent les peuples un certificat de psychiâtre, et que, d'autre part, les qualités qui élèvent un homme au pouvoir ne sont pas précisément garantes de son équilibre moral.

 

Pourquoi pas, demain, à la tête d'un grand pays - ou même à la tête d'un petit pays - un nouvel Hitler?

 

Et d'ailleurs, est-il même besoin d'un nouvel Hitler pour nous jeter dans l'abîme? Il suffirait qu'un chef, quelque part, soupçonnant l'adversaire d'être un nouvel Hitler, résolût de prendre les devants dans le crime ... Guerre préventive, guerre sainte... N'oublions pas que ce sont des hommes fort raisonnables, consciencieux et honorables qui ont fait Hiroshima et Nagàsaki...

 

N'oublions pas, de surcroît, que ces hommes d'un si monstrueux pouvoir, ces hommes dont dépend le sort de l'homme, disposent de moyens exorbitants pour mettre leur peuple en condition, pour le tromper, pour l'abêtir, pour lui faire ingérer tous les mensongesqu'exploitera leur propagande. Si bien qu'un chef, d'aventure, pourra setrouver entrner à des actes encore plus déments qu'il n'eut voulu, pour satisfaire une opinion publique intoxiquée de peur et de haine.

 

Oui, il Ya de quoi être inquiets ...

 

Le philosophe Jaspers écrivait: « l'homme, jusqu'ici, pouvait se détruire individuellement ... On pouvait exterminer des peuples. A présent, l'humanité peut êtreanéantie en totalité par l'homme. Que cela se produise n'est pas seulement entré dans le domaine du possible; au regard de l'examen purement rationnel, il est vraisemblable que cela se produira ».

 

Certains d'entre vous ont peut-être assisté à cette émission de Télévision où sont apparu quelques grands savants du monde entier.

 

Entre autres, je revois le célèbre Oppenheimer, un des pères de la bombe, et j'entends son long silence, précédant la terrible réponse, faite d'un ton si calme, à qui lui demandait s'il croyait au suicide atomique de l'homme: « je ne suis pas optimiste ».

 

Et guère plus encourageant, Gregory Pincus, avec son sourire désabusé. Et c'était un spectacle pathétique et lamentable que celui de ces pauvres grands hommes qui paraissaient comme résignés aux démentes conséquences d'une science qui avait été leur raison de vivre. On se sentait presque enclin à leur faire grief de cette résignation, de cette mollesse, de cette passivité... '

 

Mais que peuvent-ils faire maintenant, les gens de Science?

 

On veut croire - ou alors ce serait à désespérer de tout - que si c'était à recommencer, aucun d'entre eux ne conseillerait à son gouvernement l'usage de la bombe. On veut croire qu'instruit par les horreurs d'Hiroshima, averti par les remords d'Einstein, édifié par les scrupules d'Oppenheimer, aucun homme de science, aujourd'hui, à quelque pays, àquelque parti qu'il appartînt, et en quelque circonstance que ce fût, ne prendrait sa part de responsabilité dans une Apocalypse atomique. Et je ne doute pas qu'au sein du ,« Mouvement Pugwash » - cette sorte d'Internationale des savants -, des hommes de science de tous pays ne s'efforcent à défendre la paix,

 

MAIS, hélas, quels sont leurs moyens d'action? Bien sûr, en chaque pays, les spécialistes de la technique nucléaire pourraient refuser de coopérer aux oeuvres de mort - comme l'ont fait jadis Kapitza et plusieurs savants allemands -; mais, pour un spécialiste qui aurait l'héroïsme de faire grève au crime collectif, combien d'autres, et au nom du loyalisme national, s'offriraient à le relayer ... L'ignoble bombe ne manquera jamais de fabricateurs, et qui croiront faire leur devoir en la fabriquant.

 

Alors, vous voyez bien, disent les résignés: à quoi bon récriminer contre l'inévitable ? La bombe atomique fait partie de la réalité présente; il faut coexister avec elle, s'habituer à l'angoisse qu'elle fait peser sur l'humanité, et qui durera tant que les hommes seront ce qu'ils sont, c'est-à-dire jusqu'à la fin des temps ...

 

On serait parfois tenté de se laisser gagner par un tel pessimisme ... Et pourtant, nous savons bien, dans le fond de nous-même, que la terreur atomique ne peut pas être le dernier mot de l'aventure humaine. Malheureusement les « parabellistes », les caresseurs de bombes et les dévôts de la mégatonne, nous savons qu'il n'est pas possible que l'homme, un jour, n'en vienne à user décemment de sa raison, pour prendre conscience de la honteuse et ridicule situation où le placent une science qui a livré les moyens du crime universel et une politique qui ne fait rien, ou si peu, pour le prévenir.

 

Oui, honteuse situation, et ridicule ... Car, quelle que soit l'Issue d'un conflit nucléaire, il infligerait à l'homme la plus humiliante des défaites en faisant la preuve que tout son esprit, tout son génie - ce fameux génie dont il est si fier n'était, tout compte fait, qu'un caractère défavorable, inadaptif, dès lorsqu'il n'était pas accompagné des qualités de sagesse qui eussent permis d'en faire un meilleur usage.

 

Dans un moment où la guerre c'est la mort pour tous, où refuser la paix des vivants c'est choisir la paix des tombeaux, l'Homme tardera-toi! à corn- - prendre qu'il a mieux à faire, sur son petit globe, que d'échanger des menaces et équilibrer des terreurs? Le vouloir-vivre de l'espèce ne s'éveillera-t-il pas en lui, pour le contraindre aux adaptations qu'exige sa survie, et qui se résume en un seul espoir: l'unification de la planète?

 

CETTE espérance, qui fut celte d'Einstein et qui est aujourd'h~i celle de Bertrand Russell, de Josué de Castro, de l'Abbé Pierre, de Linus Paulinq, d'Alfred Kastler et de bien d'autres, je crois que, nécessairement, elle s'inscrira, un jour, dans les.faits.

 

L'unification de la planète me paraît aussi assurée pour demain qu'elle paraît réalisable dans l'heure présente, car c'est à l'échelle planétaire seulementque pourront être résolus de façon rationnelle les grands problèmes sociaux, économiques, moraux, qui se posent à nous, soit qu'il s'agisse de (a gestion des ressources terrestres, de l'organisation de la santé, ou de la lutte contre la surpopulation.

Il est aussi aisé de prédire le « monde uni » qu'il était facile, pour Jules Verne, de prédire le sous marin ou la navigation interplanétaire. Le seul doute porte sur la durée - décennies, siècles, ou millénaires - qui nous sépare du stade de cohésion unitaire. Qui peut dire, d'avance, ce qui est ou non lointain? Il en va des progrès politiques com-me des découvertes scientifiques ou techniques; ce qui paraît aisé à atteindre, ce qu'on croit déjà toucher de la main, on l'attendra durant des siècles; et ce qu'on jugeait quasi impossible, voilà tout soudain qu'il nous est offert.

 

Dans ma jeunesse, sauf Esnault-Pelterie. qui croyait en France à J'astronautique? De même, ce monde uni, si problématique, si malaisément concevable, peut-être qu'il est à la veille de naître.

 

Incertains quant au délai requis pour l'unification, nous le sommes aussi quant à ses modalités. Quelles en seront les étapes successives, quel en sera le prix? Faudra-t-il encore traverser de folles et sanglantes aventures avant de recourir à l'arbitrage de la raison? Par quels moyens pourrait-on faire une économie de massacres en frayant à l'avenir d'autres voies que celles de la violence, ?

 

Utopique, le rêve êI'une paix définitive, imposée par une autorité mondiale ? Mais, comme disait naguère le Général Jousse, que proposent-ils d'autre; les réalistes? Alors, qu'ils se taisent.

 

Oui, qu'Ils se taisent, les soi-disant hommes de bon sens qui, n'ayant à nous offrir que les surenchères de la menace et les bons offices de la terreur,ne savent, depuis des siècles, que nous faire patauëer dans le sang? Où sont leurs réussites, leurs bienfaits, quels sont leurs titres à la confiance des peuples? Qu'ont-ils évité, en fait de catastrophes et de tueries? Quelles horreurs ont ilsépargnées aux humains? Et n'est-on pas fondé à penser, en récapitulant les sauvageries qui forment le tissu de toutes les « histoires nationales », que si les utopistes, si les chimériques avaient su se faire écouter, l'histoire de l'homme n'aurait pu être plus hideuse qu'elle ne le fut.

 

Il y a quand même des espoirs qui n'ont pas été déçus, et déjà l'on a vu - pour parler comme Victor Hugo - une réalité légale ntre d'une utopie sublime.

 

Et quand cet espoir, quand ce rêve est l'unique chance de salut pour l'humanité, il n'est pas plus insenséde s'y fier que de je repousser au nom d'une raison qui n'est, à tout prendre, que le consentement défaitiste au génocide intégral.

 

Peut-être, en l'occurence, y a-toi! là une manière de pari pascalien: on mise sur la carte gagnante, on parie pour la survie de l'homme. Mais croire à l'immortalité ne nous rend pas immortels, tandis que croire au monde uni, et vouloir le monde uni, peut en hâter la venue.

 

Si l'on croyait au monde uni, si l'on voulait le monde uni, on n'éduquerait pas les enfants comme s'ils devaient s'accommoder du monde injuste et divisé où nous sommes. On leur enseignerait, très tôt, l'unité foncière de la famille humaine et que tous les hommes sont également hommes, qu'aucune patrie n'est meilleure, plus juste, plus pacifique, plus humaine qu'une autre; on leur enseignerait qu'aucune guerre ne fut belle, aucune victoire glorieuse, puisque toute gloire militaire se paie par des charniers; on veillerait à prévenir en eux la formation de la puérile et néfaste idolâtrie, on s'appliquerait,en toutes circonstances, à les faire penser non pas en nationaux mais en hommes.

 

OUI, toute la préparation spirituelle des jeunes gens serait différente selon qu'on placerait ou-non, à l'horizon de leur pensée, l'image idéale d'un monde sans frontières.

 

Ils sont nombreux déjà, parmi les jeunes, ceux qui seraient disposés à s'en remettre aux décisions, même contestables, d'une Autorité mondiale qui, assurant le maintien de la Paix par le dépassement des égoïsmes particuliers, s'attacherait à servir au mieux les intérêts, matériels et moraux, de l'humanité dans son ensemble.

 

S'engagerdans cette pacifique légion qui, à l'égard d'aucun pays, ne seveut étrangère, me paraît un séduisant devoir pour tout hommè qui souhaite, dès aujourd'hui, d'être à l'unisson de l'avenir. .

 

Ils sont de tous partis, de toutes opinions, de toutes croyances, de toutes confessions, les Citoyens du Monde. Il y a, parmi eux, - parmi nousdes croyants et des athées, des rationalistes et des mystiques, des hommes qui respectent l'homme parce qu'ils y voient une image de Dieu et d'autres qui le respectent simplement parcequ'H est homme. Il ya des militaires - comme le Général Jousse -, et des anti-militaristes qui renvoient leur livret militaire au Ministre des armées; il y a des hommes qu'on dit ({de gauche» et d'autres qu'on dit « de droite », il y a des violents et des non violents, des hommes qui comptent sur la force pour aider au triomphe du juste etd'autres qui n'admettent l'emploi que des armes de lumière; il ya des hommes-de vérité et des hommesde poésie... Mais ce qui unit tous ceshommes !par delà tant de différences, c'est l'amour loyal et passionné de la paix, ce qui n'est pas toujours le cas de tous ceux qui se disent pacifistes.

 

Je conviens qu'il n'est pas facile, et surtout de nos jours, de savoir où se trouve le vrai, le bon pacifisme. Chacun veut en avoir le monopole; pour celuici, le pacifisme, c'est refuser toute guerre, quelle qu'elle soit; pour celui-là, c'est refuser les guerres injustes, car l'idée de paix ne doit pas être séparée de l'idée de droit; pour cet autre, c'est n'accepter que celles - justes ou injustes - qui mènent aux bouleversements sociaux capables d'instaurer une paix durable.

 

Or, il est certain que, dès qu'on renonce au pacifisme intégral, inconditionné, on tombe en pleine ambiguïté; tout alors se peut justifier, même l'emploi des armements atomiques ... Qui décidera qu'une guerre est juste ou qu'elle ne l'est pas, qu'elle est défensive, ou d'agression? Et surtout 1 qui décidera que la cause que l'on défend - toujours plus ou moins impure, comme toute cause - mérite le sacrifice de tant de vies?

 

Qu'on le veuille ou non, on se trouve là dans le domaine de « l'indéterminé moral », où la décision

dépend de la sensibilité personnelle: de l'option

idéologique, du degré d'impatience avec quoi l'on veut que s'accomplisse tel ou tel progrès; on y est assailli par les angoissantes questions qui mettent en balance des vies humaines avec de hautes valeurs morales, telles que liberté, dignité, justice, ou, ce qui est encore plus embarrassant pour un

pacifiste, des vies humaines avec d'autres vies humaines, car nous voyons souvent un pacifisme à long terme s'opposer à un pacifisme à court terme, un pacifisme qui se croit mieux entendu à un pacifisme aveugle et sommaire. Alors, n'y aurait-il de vrai pacifisme qu'intégral? -

 

C'est là une immense question, un immense problème de conscience, sur lequel butent beaucoup de consciences chrétiennes.

 

Pour ma part, et sans doute vais-je décevoir certains, j'hésite à aller tout à fait jusque-là.

 

Non point certes que je ne comprenne pas ce pacifisme catégorique et sans nuances. Tant de fois nous avons constaté l'inutilité des tueries: tant de fois nous avons vu ressurgir le mal après le bain.de sang qui devait nous en délivrer; tant de fois nous avons vu, après une guerre, bafouer l'idéal qui servait à la justifier; tant de fois nous avons vu les ennemis d'hier se faire une risette qui eût été mieux venue avant le massacre; tant de fois nous avons dû convenir qu'une guerre apparemment nécessaire pouvait être évitée avec un peu de patience et de sagesse; tant de fois nous fûmes bernés, mystifiés par les prôneurs de guerre, que je comprends ceux-là qui, une fois pour toutes, ont décidé qu'ils ne les écouteraient plus. Aussi bien ce pacifisme intégral a de toute façon sa noblesse, son rôle. Ne faut-il pas que certains, dans la défense de la Paix, sachent aller trop loin? Où se fortifieraient les idéaux si ce n'est dans les âmes qui sont capables de leur porter un excès d'amour?

 

En face de l'immense foule toujours prête à consentir aux répugnants holocaustes, il est bon que se dresse la petite cohorte des obstinés qui, en aucun cas, sous aucun prétexte, n'y donneront leur consentement.

 

Et c'est bien pourquoi, je l'avoue. je fus tenté, et je le suis encore, par les généreux appels de notre ami Lecoin; mais, qUc3Îqu'il m'en coûte, j'ai cru plus honnête devant moi-même de n'y pas céder. Tout pacifiste que je suis - ou que je crois être =, si persuadé que je sois, et sans cesse davantage à mesure que, l'âge passant, je' deviens plus allergique au sang, si persuadé que je sois que presque rien ne vaut une guerre, quelque chose en moi hésite à faire tomber ce « presque »..:

 

Je me méfie des engagements inconditionnés; et je-ne veux pas me fier par un choix moral aussi catégorique.

 

Ajouterai-je que les positions les plus absolues ne sont pas toujours les plus stables? Einstein a commencé par le pacifisme intégral et il a fini par réclamer la bombe atomique. Rien ne vaut une guerre, disait le grand savant, et, par· crainte du triomphe hitlérien, il fut l'un des responsables d'Hiroshima.

 

L me semble, à vrai dire, que le pacifisme est moins une doctrine qu'une manière d'être et de sentir.

 

Pour moi, être pacifiste, ce n'est pas forcément être toujours prêt d'avance à tout sacrifier à la paix, mais c'est quand même être capable de lui sacrifier quelque chose, et à quoi l'on tient.

 

Etre pacifiste, c'est ne prêter qu'une oreille méfiante à ceux qui recommandent aujourd'hui le massacre sous prétexte qu'il doit en prévenir un plus copieux, demain; c'est, sans méconnaître les droits de l'avenir, donner la priorité ~ la vie des vivants; c'est vouloir la paix même si elle n'a pas tout à fait la couleur. qu'on préfère; c'est lui rendre grâces même si toutes nos passions et toutes nos: espérances n'y trouvent pas leur compte; c'est admettre que l'intérêt de la paix peut ne pas coïncider avec celui de notre patrie ou de notre idéologie; c'est oublier cette ignoble vérité que « le sang sèche vite »: c'est garder toujours présent à l'esprit l'immense contenu négatif du mot de « paix », - ce qu'il porte en lui de nonsouffrance, de non-détresse, de non-désolation, de non-désespoir -; c'est voir, én toute guerre, la gigantesque erreur judiciaire que fait la somme des peines capitales qu'elle inflige à tant d'innocents, c'est ne pas consentir aux grossières sirnpliflcàtions et falsifications que diffusent les propagandes pour entretenir les haines; c'est refuser d'égrener le chapelet des slogans de commande et des calomnies de consigne; c'est ne pas clamer qu'on veut la paix quand on s'associe aux fanatismes qui la rendent impossible; c'est dénoncer sans relâche ('atrocité de la guerre, l'ignominie de la guerre, mais garder d'imputer à "un des belligérants des atrocités hors série; c'est condamner dans tous les camps, les intransigeances et les jusqu'au boutismes, c'est s'affliger quand, pour quelque cause que ce soit, on voit un fusil entre les mains d'un enfant; c'est être hanté par les fantômes innombrables de ceux qui sont morts pour rien; c'est être incapable de ne pas discerner l'homme, sous l'adversaire qui semble le plus inhumain; c'est n'être jamais tout-à-fait sûr d'avoir raison s'il faut donner son acquiescement à la mort des autres ...

 

La survie de l'homme dépend de la vitalité de ce pacifisme là.

Jean ROSTAND.

 

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